À l’occasion d’un échange avec la CEO de My Job Glasses Emilie Korchia, Laurence Viracaoundin, DRH du groupe Excellence – E. Leclerc à La Réunion, revient sur un itinéraire marqué par des choix décisifs. Et toujours une même constante : l’envie de transmettre et de redonner au territoire ce qu’il lui a apporté. De juriste en droit social en métropole à Directrice des Ressources Humaines sur son île natale, son parcours témoigne de sa force d’adaptation et de son amour de la relation humaine.
Plus jeune, Laurence Viracaoundin n’a pas de projet professionnel bien défini. “J’avais une petite idée : le juridique me plaisait, j’avais envie de faire du droit. Dans certaines familles, avant, c’était soit le droit, soit la médecine. Moi je n’avais pas un parcours scientifique, donc c’était plutôt le droit.”
Quitter La Réunion pour “sortir de sa zone de confort”
Elle a à peine 20 ans quand elle fait le choix de partir de son île natale pour faire ses études en métropole. Ce sera Montpellier, une ville au climat qu’elle imagine suffisamment doux pour ne pas (trop) la dépayser. “J’ai choisi le Sud, même si j’ai eu froid à Montpellier, plaisante-t-elle. Je voulais sortir de ma zone de confort, découvrir la vie quotidienne loin de mon île. (…) C’était une envie de me confronter à un environnement que je ne connaissais pas, loin de ma famille. Il fallait tout gérer seule : le ménage, la cuisine, l’organisation quotidienne.”
Cette décision, elle ne la regrette pas, même si les débuts sont déstabilisants. L’époque est, il faut dire, moins connectée. “À la Réunion, tout est à portée de main. Là, j’ai dû apprendre à me débrouiller, se souvient-elle. À l’époque, pour appeler ma famille, il fallait des cabines téléphoniques et des cartes.” Au début des années 2000, on oublie WhatsApp ou les appels en visio.
Le droit du travail, une matière “très pragmatique”
Ses premiers cours de droit constitutionnel et de droit administratif ne la passionnent pas tellement. La suite, en revanche, lui offre de nouvelles perspectives. Elle se spécialise en droit social et en droit du travail, une matière qui la passionne. “Parce qu’elle était très pragmatique : on touchait vraiment du doigt le quotidien, la réalité des problématiques côté entreprise, mais aussi côté collaborateur.”
Ses professeurs lui transmettent leur passion. Certains viennent même donner leurs cours en robe de magistrat. “Cela m’avait marquée. J’ai eu envie d’en savoir plus, de comprendre comment manipuler le droit social dans la réalité d’une entreprise.”
Son diplôme en poche – une maîtrise en droit social -, Laurence part en quête de stages. “Après toutes ces années d’apprentissage théorique, je ne savais pas ce que cela voulait dire, pratiquer le droit au quotidien.” Elle décroche un stage de fin d’études dans le matériel agroalimentaire, chez Mccormick, à Montpellier.
Elle y reste dix ans. De stagiaire, elle devient juriste en droit social. “On a créé un poste sur la base de mon stage. J’ai eu la chance d’être dans une société où l’on me donnait la possibilité de tester des activités. À chaque fois que j’avais envie d’aller plus loin, on me disait : Vas-y, teste.” Ces dix années sont formatrices et développent son sens de l’adaptation et de l’agilité.
La dimension plus humaine l’attire, le vivre ensemble aussi
Peu à peu, le contact quotidien avec les Ressources humaines la pousse à envisager un nouveau cap. “Je me suis demandé si je n’avais pas envie d’un poste plus généraliste. J’ai commencé par cumuler mon poste de juriste et des missions de responsable RH sur une petite activité d’environ 80 collaborateurs.” Ce premier pas l’ancre dans une dimension plus globale, plus humaine, qui l’attire.
Le véritable déclic viendra de sa vie personnelle. “J’ai deux filles, aujourd’hui âgées de 14 et 17 ans. J’ai eu envie qu’elles connaissent ce vivre-ensemble et cette qualité de vie à La Réunion, celle que j’avais connue en grandissant.” Il y a un peu plus de 10 ans, Laurence fait donc ses valises et revient sur son île natale.
“En réalité, je n’avais pas les codes” pour travailler à La Réunion
Ce retour n’est pas si simple. “Même si je suis réunionnaise, je n’avais jamais travaillé sur l’île. J’ai sous-estimé le contexte en pensant que tout allait bien se passer. En réalité, je n’avais pas les codes. Il m’a fallu un certain temps pour m’adapter.” Une anecdote est particulièrement marquante. “En métropole, je disais bonjour à tout le monde. Ici, on m’a expliqué que ne pas faire la bise le matin pouvait être pris comme un manque de respect.”
Laurence passe par les médias et le BTP avant de choisir la grande distribution. “À chaque fois, ce sont des opportunités, des rencontres, des mains tendues. Avec le recul, je vois la richesse de ces expériences. Elles avaient toutes un point commun : œuvrer pour le territoire.”
En tant que directrice des Ressources humaines du groupe Excellence E. Leclerc à La Réunion, aucune journée ne se ressemble. “Je commence souvent par un café avec mes équipes. Ensuite, cela peut être des entretiens de recrutement, des réunions d’entreprise, des points avec mon directeur général, la préparation des feuilles de route RH ou des budgets.” Elle insiste : “Nous sommes au cœur de l’actualité. Par exemple, lors d’un mouvement social, il faut se préparer à gérer la crise, assurer la continuité en magasin, organiser le télétravail. Tout est centralisé au niveau des RH.”
E. Leclerc, deuxième employeur privé de La Réunion
E. Leclerc Réunion, c’est 2300 collaborateurs – le deuxième employeur privé de l’île – et plus de 100 métiers représentés, rappelle-t-elle. Laurence pilote une équipe de 20 collaborateurs RH. Les recrutements sont réguliers, notamment dans les métiers d’encadrement et de bouche (bouchers, boulangers, pâtissiers, poissonniers), mais aussi dans les fonctions support (supply chain ou achats).
Chaque année, l’enseigne accueille environ 80 alternants. Et elle innove avec des formats de job dating pour mettre les candidats plus à l’aise. La mobilité interne est par ailleurs une priorité : 45 % des postes sont pourvus en interne. “Le savoir-faire s’acquiert. Ce qui compte, c’est le savoir-être : le relationnel, l’engagement, la motivation”, soutient Laurence.
À ses yeux, la Réunion a rattrapé son retard en matière RH. “Il existe une belle génération de DRH revenus au pays. Nous échangeons beaucoup autour de ces sujets.”
Une DRH engagée pour les femmes de La Réunion
Si tout au long de sa carrière, Laurence estime ne pas avoir rencontré de frein majeur en raison de son genre, elle se souvient tout de même de son premier retour de congé maternité. “Il a fallu prouver que mon absence était transitoire et que je retrouverais vite toutes mes capacités. Cela m’a donné envie de soigner ce moment pour mes collaboratrices, en créant un vrai parcours de réintégration.”
Ce n’est pas tout. Laurence s’engage aussi officiellement : comme vice-présidente du Club innovant pour l’emploi à la Réunion, association qui mène des actions novatrices en recrutement, formation et enjeux sociétaux, ainsi que comme référente d’entreprise sur la question des violences conjugales. “Un véritable fléau, malheureusement, à la Réunion.”
Aujourd’hui, Laurence mesure le chemin parcouru. Du droit social à la grande distribution, de la métropole à son île natale, son parcours n’a rien de linéaire. Mais il est riche d’apprentissages. Et si elle devait résumer son moteur, ce serait simple : ““On m’a tendu la main à mon retour, et j’ai envie de faire la même chose. (…) Je veux rendre au territoire tout ce qu’il m’a apporté.”
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